Alabasta. Du sable à perte de vue, un soleil brûlant et une chaleur étouffante : une terre bénie pour quelqu’un comme moi. En me proposant cette mission, mon supérieur hiérarchique savait que je n’allais pas hésiter une seconde avant d’accepter sa requête et de sauter dans le premier bateau qui m’emmènerait sur cette île de Grand Line. Et pourtant, Dieu sait que j’ai horreur de prendre le large ; Mais Alabasta n’était pas si lointaine et j’étais tellement excitée d’y retourner que le voyage ne m’a pas paru si terrible que cela.

Enfin arrivée à bon port, je saluais le capitaine allié d’un signe de la main avant de déambuler dans les rues aux maisons de pierre, avec l’espoir de m’y retrouver. Car j’avais beau y avoir déjà été il y a maintenant un an, cela n’était pas encore assez pour que je connaisse le chemin qui menait à mon point de rendez-vous : la taverne. En temps normal, je me serais repérée aux chansons paillardes et à la forte odeur d’alcool et de nourriture qui se dégageait du bâtiment ; Mais ce jour-là était jour de marché, et la foule, ce n’était pas ce qui manquait dans les rues d’Alabasta, et encore moins au niveau de la place publique.

Mine de rien, la bonne humeur des habitants de l’île commençait à m’atteindre, et je m’attardais de plus en plus sur les étals des marchands du coin. Les bijoux avaient l’air si brillants, les étoffes de bonne qualité abondaient, je ne savais plus où donner de la tête. Jusqu’à ce qu’un artisan m’interpelle.

« Regardez Mademoiselle, cette robe vous irait à ravir ! Et puis, cela couvrirait vos épaules : je ne voudrais pas que le soleil vous abîme trop vite ! »

C’était tout bête, mais cette remarque m’avait fait ralentir le pas, et je me rapprochai de l’homme bedonnant. Il me tendait un large pan de tissu rose pâle, tout simple, avec une capuche ornementée de volutes dorées. C’était un vêtement très joli, mais j’avais peur que cela attire trop l’attention des gens qui me croisaient. Qui sait, peut-être y avait-il un ennemi de la Révolution parmi eux ?

Je me retournai, et observai les flâneurs, dont certains laissaient transparaître des regards interrogateurs sur les poignards que je portais dans le dos. Non, je n’étais pas un assassin, non je n’étais pas là pour tuer qui que ce soit. Je cherchai au fond de ma poche quelques pièces, puis les donnai au drapier en échange du capuchon que j’enfilai immédiatement. Bien sûr, le marchand se sentait obligé de me dire ô combien le vêtement tombait bien sur moi, et tout le char habituel. Je l’ignorai et voulus continuer ma visite, avant de me raviser.

« Dites-moi… Vous ne sauriez pas où se trouve la taverne par hasard ? »

Il le savait. Je devais avouer qu’il m’enlevait une sacrée épine du pied. A droite, puis encore à droite, à gauche, puis encore à gauche… Je pensais avoir tout bien suivi comme il fallait, et ce n’était pas très compliqué au fond. Et pourtant, une fois que j’avais tourné à droite, à gauche, dans tous les sens de toutes les rues, il n’y avait pas une taverne à l’horizon. Etais-je passée devant sans y faire attention ? Cela ne m’étonnerait pas, ces bâtisses de pierre se ressemblent toutes.

Bon. Je n’ai pas pour habitude de me montrer impatiente, loin de là. Mais dans ce cas précis, il est vrai que j’avais une forte envie d’hurler combien j’en avais marre et que cela résonne dans tout Grand Line. M’asseyant quelques instants sur un bout de muret, j’essayais de me calmer, le nez pointant vers le ciel. Le soleil réchauffait la peau de mon visage. C’était agréable. Et ça avait l’air de fonctionner plutôt pas mal comme technique de relaxation.

Je vais la trouver cette maudite taverne. Aujourd’hui ou demain, mais je la trouverais. Sauf qu’à force de flâner dans les rues de la ville, je perdais mes repères de plus en plus. J’avais l’impression de tourner un rond, pire qu’un poisson rouge dans son bocal. J’avais beau faire le tour des pâtés de maisons, je ne trouvais pas la moindre trace du bistrot. Sans pour autant perdre espoir, je fis une pause sur la place. Toujours dissimulée sous ma capuche, je pris une grande inspiration et expirai doucement par la bouche. Quand j’ouvris les yeux, il était là. L’homme pour qui j’avais fait tout ce chemin, le Révolutionnaire qui devait me donner des informations importantes.

Enfin peut-être était-ce lui. Après tout, je n’avais eu qu’une description brève de son physique ainsi qu’une photographie de son visage, et il n’avait rien de particulièrement remarquable : cheveux bruns, yeux sombres, carrure normale quoique légèrement bedonnante. Comment savoir si l’homme que je recherchais était passé devant moi, alors qu’il avait une apparence si passe-partout ? Bon. Je n’étais pas venue jusqu’à Alabasta pour rien. Je n’avais rien à perdre. Suivons-le.

Prenant bien soin de ne pas le perdre du regard, je me mêlais à la foule et prenais un air détaché tout en marchant dans les pas de l’homme. Au fond de moi, j’espérais vraiment que mes yeux ne me jouaient pas de tour et qu’il s’agissait bien là de Ruffo. Sinon, j’allais passer pour une femme étrange qui aime harceler les gens dans la rue. La stalkeuse d’Alabasta, un surnom dont je me passerais bien.

Il avait tourné à droite. Pressant le pas afin de ne pas le perdre de vue trop longtemps – on ne sait jamais, peut-être aurait-il le pouvoir de disparaître – je profitai que la foule se dispersait et me faufilai dans la rue adjacente. Alors que je pensais être bientôt arrivée à destination, quelque chose me bouscula. Mon Haki de l’observation n’eut même pas eu le temps de réagir avant que je ne perde l’équilibre, par surprise. Aurais-je été tellement concentrée à suivre le Révolutionnaire que j’en aurais oublié d’être sur mes gardes ? Impossible. Si je m’étais rendue compte que quelqu’un me suivait à mon tour, je m’en serais occupé dans une ruelle, dissimulée entre deux poubelles et l’affaire aurait été réglée en un coup de poignard. Mais ce n’était pas le cas. J’avais à peine eu le temps de vouloir me réceptionner sur l’un de mes pieds que je sentis une main m’agripper la taille avec force.

Je levai le regard : une tomate. Ou plutôt, un jeune homme aux yeux rouge qui me fixait, semblant attendre une réaction de ma part. Tandis que moi, j’en étais presque paralysée de surprise – et paradoxalement rassurée de découvrir que ce n’était qu’un humain. Je n’avais jamais vu quelqu’un d’aussi rapide, il devait avoir mangé un Fruit du Démon quelconque ou avoir appris une technique qui m’échappait. Reprenant mes esprits, je répondis au fauteur de trouble sans le regarder :

« Tout va bien, merci. »

Je ne voulais pas lui manquer de respect, bien sûr. Je ne savais même pas son nom. Mais tout en époussetant ma cape toute neuve, je continuais mon chemin, cherchant avec avidité l’homme qui devait me servir de guide sans en avoir conscience. Malheureusement, j’avais perdu trop de temps avec la malencontreuse collision qui venait de se passer et Ruffo – si c’était bien lui – s’était volatilisé. Je ne pus retenir un soupir d’exaspération, avant de m’arrêter brusquement. Je ne savais pas où j’étais, et il me semblait être passée dans cette rue une bonne centaine de fois depuis que j’étais arrivée sur l’île. La seule solution que je voyais, c’était de faire demi-tour et de demander à l’homme aux cheveux rouge s’il connaissait le coin. Après tout, pour aller aussi vite, il fallait savoir exactement où l’on allait non ?

Je n’eus pas à marcher très longtemps, puisqu’il n’avait pas bougé depuis tout à l’heure. Il faut dire que je ne m’étais éclipsée que pendant quelques minutes tout au plus, rien de très long. Bref, il fallait se rendre à l’évidence : s’il connaissait le chemin de la taverne, j’étais en veine. Mais c’était un coup à jouer, et puis je n’avais rien à perdre, encore une fois. Ravalant mon orgueil et ma timidité, je m’approchai de l’homme rapide en lançant d’une voix qui se voulait la plus normale possible :

« E…Excusez-moi de vous déranger… Est-ce que vous êtes d’ici ? Je cherche la taverne. »

Il savait. Où se cachait cette maudite taverne, il le savait. Si j’avais été plus expansive, je lui aurais sauté au cou en pleurant de joie. Mais je ne suis pas ce genre de femme, et j’exprimai plutôt ma reconnaissance par un « Merci. » et un sourire poli. Et c’est ainsi que moi, commandante de la Révolution, je me suis retrouvée à faire confiance à un inconnu qui sortait de nulle part pour qu’il me guide jusqu’à une stupide taverne dans les bas-fonds d’Alabasta. Si une voyante m’aurait raconté cette histoire, je n’en aurais pas cru un mot.

Seul le bruit des passants ponctuait notre trajet. Cela ne dérangeait pas du tout, mais cela ne fut pas vraiment le cas de l’homme qui m’accompagnait. Entre deux regards vers mon décolleté, il me demanda mon nom. Je n’étais pas gênée par ce comportement ; Après tout, c’était un homme, il devait aimer les courbes. Et puis j’aurais peut-être dû fermer ma cape un peu plus fermement si je voulais vraiment noyer mon corps sous le tissu. Mais je ne voulais pas qu’il me prenne pour ce que je ne suis pas : une fille facile, voire pire.

« Maya. Et vous ? » lui répondis-je d’un ton blasé.

Evidemment, c’était un homme plutôt bien bâti, avec les muscles et les abdominaux marqués. J’étais sûre qu’il avait beaucoup de succès avec les filles, et le fait qu’il s’intéresse à moi, femme somme-toute des plus ordinaires, boostait mon ego. Mais je n’étais pas venue pour flirter : j’avais une mission à accomplir, et j’avais bien l’intention de faire mon travail avant de me laisser distraire.

Nous étions enfin arrivés devant la taverne. Je dois avouer que la petite voix dans ma tête faisait la fête tandis que mon visage affichait un air plus détendu. Il fallait encore que je me souvienne de la route pour rentrer jusqu’au port, mais en attendant, j’étais à la bonne destination. Prenant les devants, j’ouvris la porte en la tenant à l’inconnu qui m’avait aidé. Lui dois-je quelque chose ? Je lui payerais son verre, tiens. Bref, il fallait que je me fraye un chemin entre des hommes qui devaient être là depuis un bon moment à en juger par leurs rires gras et l’odeur de rhum qui les entouraient. Mais avant ça, je lançai à l’homme aux cheveux rouges :

« Vous voulez quelque chose ? A boire, à manger ? »

Je devais paraître plus sympathique qu’à la minute où l’on s’est rencontrés, et j’en étais parfaitement consciente. Tandis que je passais commande au barman tant bien que mal – en hurlant pour me faire entendre entre deux blagues de pirates et des éclats de rire à gorge déployée – je sentis l’une de mes lames claquer contre l’autre dans son compartiment en bas de mon dos. Je lançai un regard sur le côté, le plus discrètement possible, pour voir s’il s’agissait d’une menace ou juste d’un homme imbibé qui m’avait bousculé involontairement. Mon Haki de l’observation n’avait pas réagi, et il n’y avait qu’un homme enrobé à côté de moi. Celui-ci avait l’air surpris d’avoir heurté quelque chose de métallique ; Il avait dû se serrer un peu trop près de moi, ou peut-être avait-il glissé sa main dans mon dos sans que je ne m’en rende compte, trop occupée à essayer de sortir de ce nid d’ivrognes. Je me fichais de sa réaction, mais j’espérais de tout cœur que ce n’était pas un chasseur de primes ou un Marine. Après tout, j’étais dans de beaux draps si je devais me battre ici, au milieu du monde qu’il y avait.

Ignorant l’homme qui me dévisageait, je m’extirpai du tas de clients et commençai à chercher une table du regard tout en faisant signe à mon guide d’un jour de me rejoindre. Je lui devais bien un verre après tout.

« Je suis désolée Mademoiselle, nous n’avons plus d’absinthe. Puis-je vous proposer une autre boisson ? »

Résignée et agacée par les mouvements amples des hommes ivres qui m’entouraient – qui manquaient de m’assommer de peu – j’étais prête à accepter n’importe quel alcool, n’importe quoi pour finir cette mascarade le plus tôt possible. Et dire que j’avais fait l’effort de venir jusqu’ici en bateau, dire que je me suis perdue plusieurs fois avant de trouver cette fichue brasserie et il n’y avait même pas d’absinthe pour me consoler. D’une humeur passablement exécrable, je fis de nouveau face à l’homme aux cheveux rouges, Ren apparemment. Il arborait un air méfiant, comme s’il avait vu une menace, avant de se rendre compte que je le fixais. Etait-ce la Marine ? M’extirpant moi-même de ce tas d’ivrogne collés au bar, je passai un rapide coup d’œil dans la salle, juste histoire de vérifier la présence d’uniformes blancs. Je remarquai deux ou trois soldats en train de jouer aux cartes, un verre à la main, sur une table au fond de la salle ; Rien qui constituait une menace pour l’instant, pourvu que l’un d’entre eux ne me reconnaisse pas. En attendant,  j’haussai les épaules et suivai mon hôte – qui ne montrait aucune honte à vouloir se faire entretenir par une femme – qui s’installait sur un côté libre du bar.

A la nôtre, c'est un plaisir de vous avoir rencontré et je vous remercie pour ce repas. Vous n'êtes pas du coin je suppose, sinon vous connaîtriez cet endroit. Vous êtes ici en voyage ?

Buvant une gorgée de la pinte avec laquelle je venais de trinquer, je relevai la tête en signe d’attention. Prenant soin de ne pas avoir de moustache de mousse – je ne buvais pas souvent de bière – je lui répondis avec tout le calme du monde :

« Oui. »

Pour moi, cela suffisait. Je ne suis pas une grande bavarde, ça c’est sûr. Combien de fois m’étais-je fait taper sur les doigts par ma mère parce que je n’étais pas assez polie. J’avais réussi à être sympathique pour quelques minutes, il fallait bien que je continue sur cette lancée. En plus, le Révolutionnaire que j’attendais n’était toujours pas arrivé. Il n’allait pas tarder ; Du moins c’est ce que j’espérais, ayant horreur des retardataires et pire : des poseurs de lapin. Croisons les doigts pour que l’information qu’il veut me donner en vaille l’attente.

« Et vous ? » Demandai-je avant de poser mon verre sur le rebord en bois du bar.

Tout d’un coup, un frisson parcourut mon bras. Mon fluide perceptif ? C’était mauvais signe. Je lançai un regard à mon compagnon de boisson. Il regardait derrière moi. Quand je me suis retournée, j’ai vu un petit groupuscule d’hommes, aux visages agressifs, dont les yeux faisaient des va-et-vient entre l’affiche que l’un d’entre eux tenait dans ses mains, et nous. Avais-je été repérée ? J’essayais de me rassurer en me disant que peut-être s’étaient-ils trompés. Ou peut-être que leur cible n’était autre que Ren. Après tout, il y avait quelque chose de bizarre chez lui. Mon instinct me disait que ce n’était pas un citoyen ordinaire. Alors pirate, chasseur de primes ou membre des CPs je ne savais pas exactement – même si la dernière possibilité était peu probable, au vu de sa tenue vestimentaire.

« Vous les connaissez ? » murmurai-je, le nez à moitié plongé dans ma pinte.

Un premier homme s’approcha, suivi par quelques uns de ses comparses. Il était imposant, mais je voyais dans ses yeux qu’il n’hésiterait pas une seule seconde à tuer. Une cicatrice rayait sa joue, témoin de son expérience probablement. Et même si mon nez était quelque peu anesthésié de par les nombreux effluves d’alcool qui entouraient le bar, je pouvais affirmer avec une quasi-certitude la sobriété du chasseur. Il était là pour trouver de nouvelles cibles : en l’occurrence, l’un de nous deux. D’une grosse voix grave, l’homme se mit à nous apostropher tout en subtilité :

« Hey toi ! Ouais toi ! Tu vaux cher à c’qui parait ! »

Avant d’ajouter, avec un sourire malsain :

« Les gars, aujourd’hui, c’est jour de paye ! »