Yusuke jeta un regard nerveux au pont de l’Hippocampe. Ce bateau-café, assez réputé à South Blue malgré la difficulté d’approvisionnement d’un tel commerce en mer, ne manquerait probablement pas de reconnaître le jeune homme. Approximativement deux ans plus tôt, bien avant que la Shichibukai Nikola Q. Von Striker ne réduise à néant son équipage, sa carrière de pirate et sa liberté, il avait laissé ses hommes tuer le patron de l’endroit pour qu’ils puissent se servir dans les réserves de nourriture. A l’époque, il n’avait pas vu le moindre problème à le faire : ils étaient des pirates, le meurtre était leur moyen de survivre principal. Pour autant, revenir ici… Bien après sa “mort” prétendue, que de nombreux habitants de la mer du sud croyaient vraie, cela sonnait très sérieusement comme une mauvaise idée à ses oreilles. Pourtant, il tenait à le faire. Que cherchait-il à se prouver ? Qu’il était devenu quelqu’un de meilleur ? Certainement pas. Au contraire, peut-être voulait-il démontrer que le fier capitaine pirate qu’il avait été existait encore ? Ce bâtiment, dans lequel il avait fait couler le sang, n’était-il pour lui qu’une preuve de sa puissance ? Cette hypothèse-là était plus probable… Et pourtant, il n’avait aucune envie de tuer quelqu’un, ce jour-là. Pourtant, il se devait de voir par lui-même où cette nostalgie idiote le mènerait.

Après avoir amarré son petit voilier à l’Hippocampe, il sauta sur le pont de bois de celui-ci. Il avait dédaigné ses protections habituelles, ne portant ainsi que son costume de soie et son sabre au côté gauche, à l’opposé de son bandeau, qui cachait l’orbite laissée vide par son oeil droit manquant. Passant une main gantée dans ses cheveux ébouriffés par les embruns, il soupira un instant. C’était définitivement une mauvaise idée. Il marcha doucement jusqu’à la porte du café à proprement parler. La salle était bruyante. Elle n’avait pas bien changée : un bar s’étendait sur presque toute la longueur du côté droit de la pièce, tandis que le côté gauche était ponctué de tables rondes. Tout le long des murs de gauche et du fond, une banquette rouge. Dans chacun des coins de la salle, une table était éloignée de la plupart des autres, offrant un recoin plus “discret” pour les silencieux. Pleine de gens du commun, de voyageurs qui s’étaient arrêtés, la salle semblait exempte de pirate -ou en tout cas, pas de ceux qu’il connaissait, c’est-à-dire la plupart de ceux qui étaient primés à plus de 75 millions de Berrys. Dans son esprit, la salle aurait soudainement été frappée de silence à son entrée, comme si tout le monde devait reconnaître le Corbeau de South Blue, prendre peur à sa vue, laisser exploser leur colère suite à la perte d’un être proche peut-être. Il était loin du compte. Quelques curieux, et d’autres solitaires firent effectivement attention à son entrée, mais la plus grande partie des gens du coin étaient en groupe et ne détournèrent même pas la tête lorsque les portes claquèrent en se rencontrant à nouveau, se refermant derrière lui. Il croisa le regard du barman, et il sut qu’il l’avait reconnu. Si les yeux bruns de l’homme s’écarquillèrent, la colère y brilla bien vite. Sortant de derrière son bar, accompagné de deux cuisiniers charpentés comme des armoires à glace, il se planta devant le corsaire.

“T’as du cran pour revenir ici, Corbeau. Qu’est-ce que tu viens foutre ici ? Buter le nouveau patron ?”

“Je viens… Juste prendre un café, en fait. Et j’ai de l’argent pour payer.”

“Te fous pas de ma gueule. J’veux pas te voir sur mon bateau, tire-toi.”

“Et si je refuse ?” L’air de Yusuke s’était fait provoquant. Il n’avait aucune envie de tuer qui que ce soit, et il resterait campé sur cette position là. Mais tuer quelqu’un et l’assomer, ça n’avait rien à voir. Il posa la main sur le fourreau de son sabre.

“Quoi ? Tu vas nous tuer pour rester ? Seul contre trois ? Allez les gars, on le vire à coups de pied au derche s’il le faut. Assurez-vous juste qu’il soit en état de nous dire qui a pris son oeil avant, qu’on lui envoie des fleurs.”

Pliant rapidement les genoux, Yusuke esquiva sans peine le premier coup de poing des deux videurs improvisés. Achevant de détacher son sabre de sa ceinture, il le brandit sans le dégainer, continuant de le tenir par le fourreau, le poing contre le tsuba du Kokuhaku. Le faisant pivoter une première fois, il en donna un coup dans les côtés du premier, lui coupant le souffle. Juste avant de se redresser, il envoya celui-ci au sol en lui fauchant les talons d’un coup de pied. Le deuxième cuisinier tenta de lui donner un nouveau coup de poing, mais d’un coup de sa paume droite sur l’avant-bras, il dévia le coup de celui-ci. Puis, toujours de sa main droite, il le saisit au col, avant de l’attirer vers lui. Se penchant en avant, il le fit passer au dessus de son dos, le faisant atterrir sur le dos derrière lui. Il l’entendit tousser, ses poumons vidés par le choc entre le sol et son dos.

Le barman tenta à son tour d’attaquer Yusuke, mais celui-ci fit mine de dégainer son sabre face à l’homme, si bien que l’extrémité de la poignée du Kokuhaku frappa son sternum alors qu’il tirait sa lame hors du fourreau. Rengainant son arme sans l’avoir complètement sortie, il partit s’asseoir à une table alors que le barman tombait à genoux, attendant que l’air revienne dans ses poumons. Pendant ce temps, le brun partit tranquillement s’asseoir dans la table du coin droit le plus proche de la porte, croisant les jambes, déposant quelques pièces sur la table en question -de quoi payer un café, à vue de nez-, attendant patiemment que quelqu’un lui apporta ledit café. Si son entrée n’avait pas fait plus de curieux que cela, cet épisode rapide s’était montré nettement plus tapageur. Nul doute que nombreux furent ceux qui se demandèrent pourquoi cet homme avait frappé le barman et deux de ses employés, si c’était simplement pour aller calmement s’asseoir… Et que bien plus nombreux encore furent ceux qui restèrent coi devant la placidité d’un type qui venait de mettre au sol trois sympathisants notoires de la révolution. M’enfin, pour que ça le rendre un minimum nerveux, il aurait fallu que Yusuke le sache...

Yusuke affichait un air visiblement ennuyé, les deux mains croisées derrière sa tête, les pieds contre le mur, quand les révolutionnaires entrèrent. Cela faisait déjà plusieurs minutes qu’il avait envoyé au sol le patron de l’Hippocampe et ses deux cuisiniers, et il semblait qu’il ait sous-estimé le temps de récupération qu’il leur fallait. Et du coup, son café tardait, alors qu’il avait vraiment besoin d’un café. Il bailla longuement, jetant un regard en coin aux nouveaux arrivants. Ceux-là, c’étaient pas des voyageurs comme les autres, ça se voyait au premier coup d’oeil… Enfin, surtout pour la jeune femme qui les dirigeait. C’était quoi ça, un cosplay de la Marine ? Yusuke aurait cru sans problème avoir affaire à un contre-amiral, si les personnes qui la suivaient avaient été fringués de la même façon qu’elle. Une contre-amiral dans une tenue aux couleurs inversées, certes, mais tout de même.

“Êtes-vous celui qui a fait ça ?”

Le brun observa la jeune femme, qui s’était approchée de lui. Leurs regards se croisèrent un instant. Au moins, elle n’avait pas le regard de la fille inutile et incapable de se battre. Un bon point pour elle. Son laquais se précipita vers elle, comme pour la protéger, en se dandinant comme une bimbo bien dressée. Bon point retiré.

“Kaigun-san si vous voulez je me charge de lui.”

Lui, il risquait de ne pas vivre longtemps, s’il continuait de lancer des bêtises pareilles à tort et à travers. Yusuke aurait pu le tuer avant même qu’il n’ait le temps de cligner des yeux. Annoncer un presque défi alors qu’on n’est même pas en garde, c’est du suicide.

“Oui, c’est moi qui ai fait ça. Pourquoi ?”

“Il n'a pas tué ces hommes, et je pense que si il ne l'a pas fait c'est qu'il a été provoqué c'est tout. Après ... J'aimerais savoir pourquoi il a attaqué de fidèles sympathisants de la Révolution.”

Les sourcils de Yusuke se haussèrent à une vitesse et une hauteur qui pouvaient paraître surhumaines, comme s’ils étaient désireux d’aller se cacher sous ses cheveux. Ces trois types… Etaient des révolutionnaires ? Enfin, non, pas exactement, juste des sympathisants. Des groupies, quelque part. Il ne put retenir un gigantesque éclat de rire nerveux, se pliant en deux, des larmes de rire coulant littéralement de son oeil valide. Son rire ne sonnait absolument pas naturel, empreint de nervosité et de surprise plutôt que de véritable hilarité. Les clients du café se posaient maintenant une question importante : passer par devant ou par derrière avant que ce fou possédé ne se jette sur eux avec son sabre dangereusement affûté ?

Parvenant finalement à se calmer après un temps beaucoup trop long pour ne pas être gênant, il essuya son oeil encore humide et se leva, passant devant la cosplayeuse, se plaçant devant le barman. Du bout du pied, il lui poussa légèrement l’occipital.

“J’veux pas dire mais j’attend toujours mon café, révo-guy. T’es bientôt réveillé ?”

Il se tourna finalement vers la fille.

“Je savais pas pour la révolution. Par contre j’bosse pour une Shichibukai, donc je pense pas que tes supérieurs le prennent bien si tu me parles trop. Ah et, moi c’est Yusuke. Hasekawa F. Yusuke. Enchanté.”