Une musique produite par un jukebox, calquant piano, jazz, mélancolie… L’ambiance morose de La Porte des Enfers.
Je me retrouvai ci-contre, devant mon comptoir, devant mon bar, débout et inspectant la salle. Portant des lunettes du soleil masquant mon regard, mon uniforme ou bien ma tenue habituelle par laquelle l’on me distinguait, harmoniant des dragons d’or et mes souvenirs, qui pour une fois était boutonnée. J’aspirai à un style sérieux, sévère, intransigeant afin de maintenir toutes les ordures d’ici en laisse, qu’ils soient dociles comme les chiens qu’ils étaient. Personne n’échappait à mes yeux, ici.
Quant à la salle d’aujourd’hui ? Eh bien, la population était modérée. Il y avait quelques pirates, des tueurs à gage et mercenaires en tant que vautours, mais plus particulièrement, il y avait beaucoup de chasseurs de prime. Plusieurs groupuscules de discussion s’étaient formés autour des tables rondes, il y avait une certaine animation mais surtout un certain désespoir. Les différents groupes se jaugeaient du regard, alors que pour les chasseurs de prime s’étaient plus une rivalité. Personne n’osait néanmoins agir… Je reconnaissais des habitués et, heureusement pour eux, ils ont été informés des règles de ce lieu. Surtout, ils avaient perdu leur flamme orgueilleuse à vouloir transgresser mes lois depuis qu’ils avaient pris conscience, aussi bien de la réputation qui me poursuivait, mais aussi du fait est qu’une seule personne tenait l’endroit, ne faisant office que de barman mais jamais de serveur, de videur bien souvent, et de propriétaire du bar.

La plupart aime être ici car, c’est comme dans une zone neutre, quiconque n’ayant pas l’autorisation de combattre mais se battant ou cherchant à assassiner autrui, se voit punir immédiatement par mes soins. Une rumeur court d’ailleurs qu’un jeune garçon me côtoie et que quiconque le toucherait, connaissait une fin atroce. Je n’apprécie pas les rumeurs.
Je récupérai un chiffon que j’avais seulement déposé sur un rebord à porter de main puis, je pris un verre et commençai à en nettoyer l’intérieur et l’extérieur. Sur le bar, il était possible de voir quelques personnes dormant mais maintenant toujours aussi fermement leur verre d’alcool en main. Ce genre de désespéré… Il est certain qu’ils m’offrent un bon revenu, à utiliser toute leur ressource pour oublier le passé dans la boisson. Quoiqu’il en soit, tant qu’ils n’opposent pas une gêne, je n’avais pas besoin de leur botter le cul hors d’ici.
Un geste des yeux pour balayer toute la salle du regard… Il semblerait que certains ne sachent pas détacher le regard sur moi. Je soupirai alors… Je suppose qu’il faut bien que ce soit à cause de ma présence que certains sont ici.
Le passé, les rumeurs… Je m’en fiche bien, tant que vous ne m’opposez pas un obstacle, je n’ai pas à me débarrasser de vous.
Il me sembla alors que quelqu’un faisait son entrée… probablement un nouveau venu.

La tonalité froide sans l’once d’une quelconque émotion, les yeux agrippés au nouveau venu, un regard caché derrière de sombres verres.
De ce que je voyais de son accoutrement plutôt long, ma première pensée intervint sur une certaine prestance, une certaine richesse de la part de cet individu. Devais-je en conclure qu’il connaissait les paiements équitables ou bien devais-je m’attendre à un excentrique égocentrique ? L’arme qu’il possédait par ailleurs ne m’était pas inconnue, cela me faisait seulement penser que je n’avais pas utilisé d’arme depuis un certain temps.
Mon niveau avait-il diminué ? Non, mes techniques me sont déjà assimilées à un tel point que cela me semble naturel de m’en servir. Tout comme je sélectionnerai une boisson pour me désaltérer, il en était de même pour l’utilisation de mes compétences en situation de combat. Etant maître, j’étais à cette « autre phase » au sein du domaine des combats : celle du calme et de l’esprit.
Enfin, pour comprendre ça, il faudrait être à ma place… Quoiqu’il en soit, j’espère bien que cet homme… ou femme, ne va pas m’attirer des ennuis. Tout le monde le regardait, c’était normal mais, d’après ce que ma perception me permettait d’entendre autour de moi, il n’était pas une célébrité comme tous les autres, tous ces autres qui étaient venus ici. Je suppose qu’il pouvait s’estimer heureux que je puisse éprouver moins de méfiance envers lui… théoriquement. Je devais néanmoins m’assurer de son comportement, comme d’habitude.

Il ne semblait pas être en pleine confiance avec lui-même… Soit il n’est pas un utilisateur de fruit du démon, soit il ne recherche pas le combat. Aurait-il donc un lien « gênant » avec ses relations ? Ce qu’il côtoie ? Bof, c’était à supposer.
Continuant mon geste et m’occupant des verres un à un, il finit par arriver devant moi, se posant ainsi sur l’un des sièges aux côtés d’alcooliques évanouis. Ce n’était peut-être pas la meilleure des places, mais qu’attendez-vous donc d’un lieu nommé La Porte des Enfers ?
D’ailleurs, devant moi il me paraissait bien calme, c’était rare de rencontrer des personnages comme ça, qui ne semblent pas effrayer ou impressionner. Il semblerait que j’offre cet effet, mais que voulez-vous que je puisse y faire ?
Il engagea la conversation aussi simplement que cela, gentiment et tranquillement. De mon côté, je fis apparaître comme par magie devant lui, une bouteille typique d’Alabasta. Je n’étais pas spécialement géographe ou très renseigné, je savais seulement que cet alcool était réputé là-bas.
Je déposai ensuite un verre à côté de lui, le laissant se servir de lui-même. Je supposai qu’il devait être un buveur, néanmoins que ce soit oui ou non, quoiqu’il soit, il avait un prix à payer pour boire ici. Je ne tardai pas à le lui dire, conservant mon humeur de fer :

-N’oubliez pas de payer.

C’était peut-être un peu répétitif, mais c’était comme un code que je suivais à chaque fois qu’un nouveau apparaissait dans mon bar.
Je déposai le chiffon qui m’avait servi à nettoyer, à côté de moi et puis, détournant le regard vers les fenêtres, je jetai un œil à l’horizon et au ciel. Il y avait comme cette touche manquante… aujourd’hui.

Finissant d’observer le paysage, les flots et le ciel, mon regard revint au nouveau venu ainsi qu’aux revenants qui, comme des mort-vivants, semblaient être revenus à la vie non pas pour lorgner sur de la viande fraîche, mais sur de l’alcool. Une pointe de surprise indiscernable en moi, je croisai les bras devant cette saynète qui se présentait à moi.
C’était rare de voir des esprits partageurs comme celui de cet homme, serait-il d’un genre gentillet ? Cela peut-être à son avantage comme à son inconvénient. Ici, dans cet antre de l’Enfer, ce n’est pas mon rôle de gracier les bonnes conduites, je devais maintenir l’ordre… chose déconcertante par ailleurs. Néanmoins, mes méfiances ne peuvent disparaître quoiqu’il en coûte.
Finalement, mes yeux touchèrent les berrys que m’avait déposé mon client. Etant donné qu’il n’avait pas eu l’idée de me les mettre en main ou de déposer le tout dans une bourse, j’éprouvai comme une certaine lassitude à les ramasser peu à peu. Le prix était raisonnable pour ce que cette bouteille vaut, ce n’était pas un alcool de luxe mais bien classique.
Alors, comme j’éprouvai ainsi un peu de rouille dans mes membres… je me demandai bien si quelqu’un aurait la possibilité d’assister à cela ? Lentement et dans un geste sans plus, j’approchai ma main droite des pièces… Dans mon bar, personne n’avait le niveau ou les compétences pour décrire mon mouvement, alors ce que les témoins purent voir c’est qu’au moment où j’attrapai les pièces, toutes pièces disparurent en même temps, se retrouvant dans ma main. Ceux qui m’observèrent éloignés, ils ne virent rien et n’avaient pas prêtés attention à cela… Seuls les personnages au sang neuf, auraient pu voir ce mystère.

Mon geste continua aussi simplement que cela, et je rangeai le tout quelque part sous mon comptoir.
Je me relevai, passant une main dans mes cheveux. J’étais alors plutôt pensif… On dirait que je n’avais pas perdu la forme, néanmoins ce que j’avais fait a produit comme un souffle d’air autour de moi. Il est vrai qu’il ne vaut mieux pas être à porter quand je le réalise… Enfin.
Mon visage revint sur l’homme devant moi car il m’adressa la parole. Et là, quand j’entendis ses mots… De l’ennui combiné à une certaine hostilité, c’est à travers mes lunettes noires qu’il devait avoir ressenti la force de mon regard.
Qu’est-ce qu’il essayait de faire ? Je comprends bien qu’il me prévienne qu’il compte payer pour les deux déchets, mais… la finalité de ses paroles sonne faux. Pour ainsi dire, la dernière fois que j’avais entendu un discours semblable et sur le même ton, c’était de la part d’imbéciles qui s’intéressaient de trop prêt à moi. Des connaisseurs des rumeurs voulant obtenir le pouvoir par mon savoir.
Peut-être qu’il cherche la discussion ? Quoiqu’il en soit, pour essayer de me sortir quelque chose d’aussi stupide sur un ton philosophique, il n’y avait rien de plus qui pouvait m’agacer.
La réponse à ce qu’il se voulait rhétorique, c’était simplement que l’horizon n’était pas triste. Non, c’est lui qu’il le percevait ainsi. Je suppose que cet homme doit être un tantinet dépressif et connaissant des batailles en mer ou de voyages finissant mal mais dont il en serait sorti vivant. Il essayait probablement de partager sa vision, mais nos visions étaient différentes.
J’apprécie particulièrement les infinis, et ce n’est pas pour des regrets.
Je restai silencieux en le fixant, à croire qu’un orage éclatait sous ma tête.

Un peu derrière, certains avaient ressenti mon regard… Ils arquèrent un sourcil puis se regardèrent. Il y avait comme une mauvaise atmosphère qui flottait.