Un magnifique reflet de lune argenté se répandait sur les quais animés de cette magnifique petite île non loin de Marie-Joie. Chara avait l'habitude de se rendre ici avec son acolyte qu'elle appelait amicalement "Ginseng" une fois la nuit tombée. Pourquoi cette île ? Hé bien, elle était très animée la nuit. Les tavernes étaient toutes pleines à craquer et les gens dansaient et chantaient sur les quais comme jours de fêtes, il y avait même un petit marché de nuit remplis d'étalages colorés et quelques boutiques ouvertes. Seules quelques petites ruelles mal éclairées étaient occupées par des rats. Mais le plus impressionnant c'était l'arche floral qui surplombait cette île par ses larges pétales magnifiques. En bref, la ville était idéale pour nos deux papillons de nuit qui ne voyaient que diverses façons de s'amuser.

Spoiler:

Elles portaient toutes les deux des capes respectivement brunes avec leurs capuches relevées pour maintenir les parties supérieures de leurs visages dans la pénombre afin de ne pas être reconnues. Le fruit de Zylphia allait leur poser problème si des gens regardaient son visage où faisaient attention à elle. Quant à Chara, il était préférable qu'on ne la reconnaisse pas, imaginez le choc de voir une fille de nobles se mélanger à la basse population en commettant en plus quelques petits vols d'étalages pour s'amuser !

Après quelques heures de vadrouille à la recherche d'occupation, elles finirent par trouver un endroit à l'abri des regards pour.. déguster ces merveilleux churros qu'elles avaient volées à un marchand. En escaladant quelques tonneaux de marchandises, elle se retrouvèrent sur un toit d'une boulangerie à côté d'un nid d'oiseaux juste en face de la mer. Elles contemplèrent  silencieusement les vagues s'abattre avec fracas sur les rochers de l'île dans un vacarme absurde pendant un moment puis Chara s'étala sur le dos pour mieux observer les étoiles par ce ciel non couvert.  Après quelques minutes de silence, elle posa son les yeux sur son amie en serrant la poigne de l'uns de ses sabres favoris accrochés à sa ceinture.

"Dis-moi Ginseng, toi, tu as des projets pour un peu plus tard ?"

L’archipel de Shabondy, le paradis. L’endroit parfait pour nos fourberies, mais en soi, les îles qui le composaient m’animaient d’une chaleur profonde. L’air, ce soir-là, y était doux. Les ruelles se vidaient au profit des tavernes, dont les différentes musiques se mêlaient dans un tohu-bohu jovial. Au milieu de cet étrange atmosphère, deux ombres filaient dans les ruelles, se glissaient sur les murs, et bondissaient de toit en toit. Chara et moi, enveloppées dans nos capes, partions à la recherche d’une boutique assez fortunée pour, comme souvent, dérober quelques trésors inutiles.

Une pâtisserie, cette fois. Une belle pièce montée en ornait la vitrine, qui affichait, en belles lettrines dorées  « Pâtisseries & Mignardises de Panetonne ». En vitesse, nous entrâmes dans la boutique, après que Chara eut forcé la poignée par l’une de ses pratiques dont je n’aurai jamais le secret. Franchement, pour le coup, nous n’avions pas fait preuve de la plus grande discrétion. Evidemment, le fameux Panetonne se réveilla, montrant sa bedonne bien remplie sous une chemise de nuit certainement en soie – en tous les cas, coûteuse. C’était à mon tour d’agir, pendant que Chara s’occuperait du vol. Avec tous les ustensiles qu'il gardait ici, ça devenait franchement trop facile. Il grommela, et alors qu'il essayait de foncer sur nous, les quelques couteaux qu'il entreposait là vinrent se planter dans ses vêtements, pour lui même le planter par terre. Avec un fouet, je m'amusais à remuer son gros nez graisseux, pendant qu'une louche se logeait dans sa bouche, pour l'empêcher de parler.

- Mmmhhhhh !

- Je fais de la bouillie, pour mes trois petits cochons... Pour un, pour deux, pour trois, pour quatre, pour cinq, pour six, pour sept, pour huit, pour neuf, bœuf !

Je commençais à m'ennuyer, il n'avait pas beaucoup d'humour, celui-là.

Dépêche-toi, Chara…

Sa respiration était forte, comme celle d'un taureau, et me faisait presque peur. Pourtant, je n’en montrais rien. Je souriais, jouais avec ce que je trouvais dans sa maison, lui expliquait aussi que j'aurais bien aimé être pâtissière, et que je me débrouillais pas mal en cuisine. Il aurait pu m'apprendre des trucs, mais comme on était en train de le voler, ça devenait compliqué. Comme il se bavait dessus, j'évitais de le regarder. Derrière moi, j’entendais des bruits de bouillonnement, et une odeur de friture commençait à régner dans la boutique.

Chara, qu’est-ce que tu fais ?

Dès qu’elle eut fini, rapidement, nous assommâmes le pâtissier – il fallait s’y prendre à deux pour être sûres d’en venir à bout. Nous partîmes en vitesse de la boutique, pour nous retrouver à quelques centaines de mètres, assises sur un toit, ne laissant comme souvenir de nous seulement une porte forcée, et une bosse sur le front du pâtissier.

- Alors, qu’est-ce que tu as pris ? Ça sentait le brûlé.

En me souriant, Chara sortit de sa cape un petit paquet de papier, légèrement tâché d’huile vers le bas.

Nous volions vraiment n’importe quoi. Mais l’important est que notre goûter de minuit fut délicieux, quoi qu’assez court.
Vint le temps de digestion. Depuis notre toit, nous faisions face à la mer, qui s’écrasait contre la côte. Un long silence prit place, tandis que les dernières tavernes jetaient à la rue les hommes soûls qui, encore une fois, n’avaient pas payé les dizaines de tournées qu’ils avaient offertes. Je déposais mes mains légèrement en retrait par rapport à mon dos ; mes jambes pendaient au-dessus du sol. Chara s’allongeait, l’air pensif. Je devinais son regard sur moi.

- Dis-moi Fê, toi, tu as des projets pour un peu plus tard ?

C’était une question que jamais je ne m’étais posée. Je mis un certain temps à trouver une réponse. Jusque-là, j’avais toujours vécu au jour le jour, sans savoir ce que serait le lendemain. D’ailleurs, je n’étais pas toujours sûre de connaître un lendemain. A 20 ans, il était peut-être temps que je me mette à prévoir un peu le futur. Après tout, ma situation était bien plus stable qu’autrefois : j’étais une voleuse, et… j’avais plus ou moins une maison. Ces îles étaient ma maison.

- Tu sais, j’ai toujours voulu être totalement libre. Je sais que ce n’est pas possible, mais si je pouvais m’en approcher… je pense que le meilleur moyen serait de devenir pirate. Ce serait le même genre de vie qu’ici, mais dans le monde entier. C’est sûrement ça, la liberté, non ? Faire ce que l’on aime, avec les personnes que l’on aime, partout. Et toi, Chara, comment tu le vois, ton avenir ?

Elle soupira un peu avant de plonger à nouveau son regard glacé dans la voûte céleste. Les étoiles brillaient de mille feux, à chaque fois qu'elle les regardait, ces astres, elle se demandait si il y avait quelqu'un là haut. Une personne qui trouvait logis dans le firmament, Une personne beaucoup plus puissante que nous, pauvres mortels, et qui contrôlait le destin de chacun depuis des temps immémoriaux.

" Tu sais, j’ai toujours voulu être totalement libre. Je sais que ce n’est pas possible, mais si je pouvais m’en approcher… je pense que le meilleur moyen serait de devenir pirate. Ce serait le même genre de vie qu’ici, mais dans le monde entier. C’est sûrement ça, la liberté, non ? Faire ce que l’on aime, avec les personnes que l’on aime, partout. Et toi, Chara, comment tu le vois, ton avenir ? "

C'était bien ce qu'elle craignait, Zylphia avait une âme de pirate.
Le destin de Chara était de rejoindre les rangs de la Marine comme la plupart de ses ancêtres, pourtant une partie d'elle rêvait toujours de cette liberté. Elle savait qu'elle était prise entre le marteau et l'enclume, et elle savait qu'elle avait un choix à faire et qu'il fallait qu'elle le fasse ce soir. Elle n'aurait pas d'autres occasions de le faire. Fallait t'il qu'elle dise qu'elle comptait suivre la lignée de sa noble famille ou s'enfuir avec Zylphia  pour tout abandonner et vivre ce désir naif de liberté absolue ? "Oh cruel destin, n'arrêteras-tu donc jamais de faire de ta plus fidèle apôtre un martyr rongé par le poids de ses actions ?" pensait-elle.  Elle brisa le long silence dans lequel elles baignaient depuis un petit moment, en toussotant, comme pour faire des aveux :

"Je veux rejoindre la Marine."

Je veux rejoindre la Marine.

Traîtresse. Traîtresse, traîtresse, traîtresse. Qu’est-ce qui lui prenait ? Chara était une amoureuse de la liberté, une joueuse, une voleuse, pas un de ces singes apprivoisé par le Gouvernement. Son sang était noble, sa famille fidèle aux lois, mais jamais elle n’avait suivi leurs principes. Son cœur, lui, ne penchait pas vers les soi-disant ordre et sécurité promis par nos dirigeants. Nous savions toutes deux que leurs serments n’étaient qu’illusion, des discours dont l’utilité n‘existait que dans le maintien de leur paix, à eux. Ils évitaient les soulèvements en jurant sur un avenir meilleur. La Marine était un moyen de pression, qui empêchait les rebelles de se multiplier, sous la crainte d’être arrêté, puis exécuté. Ce qu’il fallait à ce monde, c’était la chute du Gouvernement.

Je n’étais pas plus partisane de la justice. J’avais eu l’occasion, plusieurs fois, d’apprendre qu’être bon ne menait à rien. Finalement, les personnes qui méritaient réellement de vivre en paix devaient se compter sur les doigts de la main. J’étais persuadée que Chara, malgré ses vols, aurait pu faire partie de ces gens.

Je veux rejoindre la Marine.

Ces mots résonnaient dans ma tête à m’en faire exploser le cerveau. L’île, qui m’avait toujours charmée, s’écrasait sous un air lourd, pesant, devenait un four infernal dans lequel je ne trouvais plus de quoi respirer. Bravo, Chara, tu venais de plomber l’ambiance, et ce, pour toujours. Je n’avais même pas envie de rire, et je lui en aurais voulu longtemps, si ça n’avait été qu’une plaisanterie.

Je tournais mon visage vers elle d’une lenteur que je me découvrais. Je la dévisageais comme une inconnue. Ses traits n’avaient pourtant pas changé : doux, juvéniles, ses cheveux  gisaient sur les tuiles. Leur blancheur devait avoir été volée à la Lune ; c’est ce que souvent, je pensais. Pourtant, je ne voyais plus en elle qu’une lâche. Elle n’avait plus le courage de poursuivre la liberté, si bien qu’elle souhaiter s’asservir au Gouvernement.

Assises l’une à côté de l’autre, ces quelques mots avaient pourtant suffi à bâtir un infini entre nous. Je ne ressentais pour elle plus que de la haine, une rancœur sans limite. J’avais envie de pleurer, de vomir, et mon cœur se serrait douloureusement. Je serrai mes bras autour de mes jambes.

Avec la plus grande hypocrisie au monde, sans lui faire part de ma déception, je lui demandai simplement :

- Ah ? Pourquoi ?

Chara décida de la regarder droit dans les yeux en plongeant son regard plein de regrets dans le sien, comme pour sonder son âme, persuadée que sa réaction n'était pas naturelle, elle savait que Zylphia lui en voudrait, qu'elle ne lui accorderait sans doute jamais son "pardon" pour sa faute. Elle ne reconnut pas tout de suite le regard de son amie, sachant très bien qu'un fossé venait d'être creusé sous leurs deux pieds. Et cela lui faisait peur. Lâche ? C'était le mot. Le mot parfait pour décrire quelqu'un qui avait peur de faire un sacrifice pour sauver quelque chose. Mais il y avait aussi de la haine. De la haine profonde qui consumait petit à petit le corps frêle de Chara, cette haine s'était introduite dans son esprit sans vouloir en sortir comme une tumeur que l'on ne pouvait pas guérir. Elle ne voulait pas y croire au début mais au fond, elle haissait ceux qui avaient assassiné son père du plus profond de son cœur. La vengeance et la détermination étaient les deux mots qui résonnaient peu à peu dans l'esprit de Chara. Mais depuis quand était-elle devenue si confiante ? Elle n'aurait jamais osé regarder une personne qu'elle avait blessée avec ces yeux, auparavant. Sa pupille s'était dilatée, ce qui rendait son regard presque noir comme du charbon. Un regard qui témoignait de son état d'esprit qu'elle avait du mal à dissimuler.

"Ah, pourquoi ?"

Spoiler:

Et voilà, Zylphia jouait le jeu elle aussi. Ce jeu qui mettait en scène deux ordures dissimulées derrière les masques de "l'amitié", cela aurait pût être une pièce de théâtre comique mais ce n'était pas le cas. Elles se faisaient face l'une à l'autre en tentant de cacher toutes les deux leurs émotions. C'était nécessaire afin que leurs mental ne se déchirent pas. Mais elles savaient toutes les deux qu'il n'y aurait pas de retour en arrière.  Le fil du destin ne peut pas être coupé.

Ah Zylphia, pourquoi rendait-elle cela si difficile ? Pourquoi fallait-il que ça soit si déchirant. Quand est-ce que ce que cette mascarade ridicule allait s'arrêter ? Probablement pas ce soir, elles le savaient toutes les deux. Pourtant une part de ce qu'il restait de l'âme de Chara la suppliait de faire quelque chose pour arranger la situation.

S'il te plait. S'il te plait. S'IL TE PLAIT.

Elle n'allait pas répondre à sa question, elle était sûre qu'elle ne comprendrait pas. Personne ne pouvait comprendre son mal-être à part elle. Personne.  Désespérée, elle finit par sourire en essayant du mieux qu'elle pouvait de dire lui parler tout naturellement bien qu'elle n'y croyait pas.

"J'aimerais que tu me rejoignes et que tu t'engages avec moi."

- J'aimerais que tu me rejoignes et que tu t'engages avec moi.

Elle cherchait juste à éviter ma question, et je dois avouer que je n’avais pas plus envie de savoir. Quelle qu’en soit la raison, sa traîtrise ne pouvait être excusée. Voilà où en était notre amitié. Aucune vérité ; chacune laissait à l’autre deviner ses pensées, sans jamais rien avouer. Nous qui nous étions tout confié, en venions à devenir comme le reste de ce monde, plein d’hypocrisie et de lâcheté. Comment pouvions-nous encore nous regarder en face ?

Son air de chien battu me dégoûtait. Il semblait dire « Désolée, je n’ai pas le choix », mais ça aussi, c’était un mensonge. On a toujours le choix, c’est seulement la volonté et le courage, qui manquent.

Et ce sourire. Elle dut certainement se déchirer les joues, pour arriver à ce résultat. Un sourire léger, amical, mais plus que tout suppliant. Je crus même voir ses lèvres trembler.

Norland.

Lorsqu’elle me demanda de rejoindre la Marine à ses côtés, mes pensées se dirigèrent vers lui. Il fallait que je le retrouve, qu’il m’accepte dans son équipage. Jamais, même pour Chara, je ne serais au service du Gouvernement. Et si elle le rejoignait, ça devenait risqué pour moi, de rester près d’elle. Elle m’avait déjà abandonnée, qui sait si elle ne serait pas allée jusqu’à me dénoncer ?

Je vivais à nouveau la mort de ma sœur.

Désolée, Chara.

Impossible de lui dire de front. A nouveau, je partais. Je me préparais à fuir, pleine de rancune, avec un homme que je ne connaissais qu’à peine.

Je me levais, profitant une dernière fois de la vue que m’offrais ce toit. Je pris une grande bouffée d’air.

- Je te donnerai ma réponse demain.

Et mon corps s’évanouit dans la pénombre d’une ruelle, tandis que je me laissais tomber dans le vide.


Grâce à l’entraînement de Chara, je réussis, quelques heures plus tard, à m’insérer dans ses appartements. Je pus facilement dérober l’un de ses sabres préféré, et le remplacer par un bout de papier sur lequel je lui demandais de me retrouver le lendemain, au port.

Elle la regarda s'évanouir comme une ombre dans la nuit, après tout ce n'était plus ce qu'elle était aux yeux de Chara. Elle décida de rester un petit moment sur les toits pour regarder la mer, encore un peu, elle était si belle avec ces reflets de lune.

Elle n'avait pas vraiment envie de rentrer chez elle tout de suite. Et puis, elle devrait bientôt se marier avec un homme un peu plus vieille qu'elle, et ça ne l'enchantait guère. Les mariages arrangés ne faisaient pas partis de ses propres principes. Mais ainsi va la vie.

Après un petit moment, elle dirigea son regard vers les quais, où les gens qui s'amusaient malgré cette heure tardive. Tout le monde riait et dansait sauf Chara. Elle se coucha sur le dos puis regarda les étoiles de nouveau. Elle profitait de ce dernier soir de liberté complète comme si c'était le dernier.


Elle se faufila comme une voleuse dans ses appartements en se laissant tomber sur le lit déjà bordé par sa nourrice qui était au courant de ses sorties nocturnes. Elle caressait ses draps en satin qu'elle affectionnait particulièrement puis elle se débarrassa de ses vêtements d'extérieur et de sa cape qu'elle mit dans un coffre caché sous son lit.

Elle enfila rapidement une robe de chambre avant d'aller ranger son sabre avec les autres. Elle remarqua aisément un petit mot à l'endroit où son sabre favori - avec lequel son père s'entraînait - devait se trouver.

"Retrouve moi demain au port"

Quelle était cette stupide mascarade ? Zylphia ? Etait-elle vraiment derrière tout ça ? Elle connaissait la valeur émotionnelle que Chara portait à ce sabre. C'était donc sa façon de se venger. Non, une petite part en elle refusait de croire en cette possibilité. Chara irait au port demain pour régler cette histoire sordide avec Zylphia. Mais pour l'instant il lui fallait dormir, car la nuit porte conseil..

J’avais passé la nuit la plus longue de ma vie. Assise au port, les pieds pendant au-dessus de l’eau, j’avais déposé le sabre de Chara à côté de moi. Ah, la belle garce ! Elle avait réussi à me rendre sérieuse, à me voler mon sourire. Je n’arrêtais pas de penser à elle, et ce satané sabre ne faisait que me rappeler sa traîtrise. Je l’avais volé par caprice, mais il faisait partie de mes plans. Demain, au port, elle enragerait de me voir le porter en tant que pirate. Le cher sabre de son père, chez les pirates. Bien fait. De toute façon, pourquoi elle s’y attachait tant ? Les Joestar peuvent avoir autant de sabres qu’ils le souhaitent, à quoi bon s’attacher à un ? Bof, c’était son problème ; et moi, ça m’arrangeait.

N’empêche que sur le moment, son sabre, il me saoulait pas mal. C’était comme avoir avoir une Chara en ferraille, silencieuse, immobile, morte. Alors c’était moi qui tenais la conversation :

- Tu vois, Chara… je t’apprécie beaucoup. J’aurais voulu qu’on soit amies encore un moment, peut-être pour toujours ; ou du moins jusqu’à ce que l’une de nous meurt. Il en faudra bien une. Mais le problème, tu le connais. La Marine. Quelle idée de vouloir les rejoindre, ceux-là ? T’as pensé à ce que tu ferais, une fois là-bas ? Je veux pas te forcer à rester avec moi. Si ça t’amuse d’être avec eux, c’est tant mieux pour toi. Mais t’as sérieusement pensé à ce que tu feras ? Tu sais, la grand-mère chez qui j’étais, elle a déserté la Marine. Elle trouvait pas ça bien. Elle soignait des blessés, certains qui pourraient même pas s’en sortir. Elle aurait préféré être médecin de ville, ou un truc du genre. Je t’en veux de me trahir, Chara. Mais j’ai surtout peur. Pas peur que tu te retrouves comme ces blessés, avec un bras ou une jambe en moins. Ou la tête, en moins. Ça, ça t’arrivera pas, je le sais. En fait, ce dont j’ai peur, c’est de ce qui est en train de se passer. On est en colère, on s’en veut toutes les deux, et à partir de demain, on ne sera plus amies. Juste deux vieilles connaissances, un bon souvenir du passé, mais qu’on veut oublier. Rah, tu me saoules. Je suis encore trop sérieuse. De toute façon, moi je serai libre, et tu seras jalouse, c’est tout ce qui va se passer.

- …

Le silence du sabre fut interrompu par le sifflement d’un vent doux. Mes cheveux volaient légèrement, et une mèche passa devant mon visage. Tiens, je devrais les couper, il y a des fourches. Mes yeux dérivaient vers le sabre, mon regard le suppliait de répondre. De toute façon, même Chara n’aurait pas pu répondre, car je n’aurais jamais eu le courage de lui avouer tout ça. Il fallait juste que ça sorte.

Je prenais ma canne à pêche, y accrochais un asticot (j’en ai pas mal dans ma poche, dans une boîte), et plongeais le hameçon dans l’eau. Je ne l’avais pas remarqué tout de suite, mais un marchand bien enivré, au nez boutonneux et rouge, venait de s’asseoir à côté de moi.

- Tu dois l’aimer, c’t’épée, pour lui par.. hic ! parler comme ça !

En réponse, je riais. Ouais, je l’aimais bien C’était un bon souvenir. Peut-être que je n’avais pas envie d’oublier.

Toute la nuit, je restais avec mon soûl, à attendre la venue de quelques poissons. De toute façon, au pied des ports il n’y avait jamais rien. Mais ça me détendait, de tenir ma canne, et d’attendre que la nuit passe.

Le jour se levait : le marchand ronflait à côté de moi, les premiers levés commençaient à animer la rue. Je pliais mes affaires et m’en aller vers le navire qui me ferait perdre Chara.

Elle était déjà sur les quais, ce matin là en marchant sans but et en se serrant la lèvre inférieure. Elle était arrivée en avance car cette histoire la tourmentait atrocement. Qu'est ce Zylphia allait bien pouvoir faire avec son sabre ? Elle n'était franchement pas très douée en escrime. Chara lui avait pourtant bien apprit à "porter l'étiquette." Elle lui avait appris à se pouponner comme une véritable dame, en lui donnant quelques robes et quelques bijoux offerts par des admirateurs . Elle lui avait également appris à tenir correctement ses couverts, utiliser le bon couteau pour le bon plat. En échange, Zylphia lui apprenait à pêcher et à voler quelques petits trucs pour s'amuser. C'était le bon temps, le temps où elle n'étaient que des enfants qui voulaient s'amuser. Mais les temps changent. Zylphia, pourquoi est ce qu'elle était aussi déterminée ? Pourquoi ne pas la rejoindre ? Pourquoi avait-elle cette âme fougueuse qu'on ne saurait dompter.


Bon sang, si elle avait un jour cru que Zylphia lui causerait autant de soucis.. Et puis, elle n'avait pas vraiment le droit d'être là. Enfin bon, les quais commençaient doucement à s'animer,  ce qui frustra et angoissa un peu Chara qui n'était pas déguisée, cette fois. Elle se sentait mal, sans son déguisement au milieu de la population. Elle était comme une petite fleur au pays des monstres.   Ses pensés se firent interrompre par les cris d'un poissonnier qui prêchait la bonne qualité de son poisson.

Elle jeta un rapide coup d'œil vers un navire qui attirait son attention. Il se préparait à partir. en croyant reconnaître une silhouette très familière à son bord, elle se précipita vers l'embarcation, mais il était déjà trop tard.
Elle regarda le bateau partir en direction de l'horizon en fronçant les sourcils.

"Sale petite peste."